Colombie : L’égalité des genres, un élément essentiel pour la construction d’une paix durable

11.2017 – Entretien avec Ana María Berrío Ramirez, Coordinatrice de projets chez Vamos Mujer, qui apporte un appui psychosocial aux femmes ayant subi des violences, et soutient leurs initiatives économiques et productives. Elle nous parle de l’approche genre de son organisation et de l’importance de cette thématique dans le contexte du post-conflit en Colombie.
En quoi consiste l’approche d’équité et égalité de genre chez Vamos Mujer ?

L’approche genre de Vamos Mujer prend racine dans les luttes, conquêtes et postulats éthiques et politiques du féminisme. Il s’agit d’une approche intersectionnelle – qui réfute le cloisonnement et la hiérarchisation des différentes formes de domination ou discrimination que sont le sexe/genre, la classe, la race, l’ethnicité, l’âge, le handicap et l’orientation sexuelle ; interconnectée avec d’autres problématiques – droits humains, protection de l’environnement, etc.

Cette approche nous permet d’analyser et de comprendre comment la société appréhende ce qu’est une femme et ce qu’est un homme ; et quelles sont les attentes culturelles vis-à-vis de ces rôles de genre, qui sont assignés et transmis de génération en génération. Elle permet de révéler des relations de genre inégales et leur impact sur la vie des femmes, qui subissent des désavantages, des inégalités d’opportunités et des discriminations. Mais également d’interroger la masculinité, c’est-à-dire, ce qu’implique pour les hommes de porter le poids du pouvoir dans toutes ses manifestations.

Seule une compréhension fine de ces constructions sociales et culturelles qui fondent les inégalités des genres permet d’œuvrer pour proposer des alternatives. Une transformation des mythes, dogmes et valeurs qui sont à la base des inégalités de genre est nécessaire si nous voulons tisser des relations plus respectueuses et égalitaires entre nous, mais aussi avec notre environnement.

Dans les contextes dans lesquels Vamos Mujer intervient, l’approche genre permet aussi d’identifier les mécanismes, ressources et capacités dont disposent les femmes pour transformer leur rapport au monde, tant dans la sphère publique que dans la sphère privée. Ainsi, chaque situation de la vie quotidienne est une opportunité pour désapprendre et réapprendre, pour transformer des comportements et des attitudes et ainsi contribuer à construire une société et une culture plus justes pour toutes et tous.

Pourquoi l’équité et l’égalité de genre sont des éléments essentiels à la construction d’une nouvelle paix stable et durable ?

Parce que la construction de la paix implique de travailler pour permettre des conditions de vie dignes, pour toutes et tous, et donc de lutter contre les inégalités. Une paix durable est impossible si l’on ne met pas un terme aux violences de genre envers les femmes et si elles ne peuvent pas participer aux décisions stratégiques sur leurs territoires.

Ceci implique nécessairement de transformer le système culturel colombien, qui rend possible, naturalise et légitime la violence quotidienne envers les femmes et l’exploitation de leur corps, les inégalités sociales, économiques et politiques entre hommes et femmes, et l’exclusion des femmes des espaces de prise de décision concernant l’avenir sur leurs territoires…

Les femmes ont dû lutter et résister pour rester sur leurs territoires pendant le conflit armé. Elles ne peuvent donc pas être écartées du processus de construction de la paix. Au contraire, elles jouent un rôle clé dans la reconstruction du tissu social et dans la mise en œuvre de propositions de développement sur leurs territoires.
Quels sont les principaux défis ou opportunités de Vamos Mujer suite à la signature de l’accord de paix avec les FARC et le gouvernement colombien ?

Les organisations et collectifs de femmes que Vamos Mujer accompagne depuis plus de 38 ans ont développé une diversité de propositions de résistance, de mémoire et de transformation pendant le conflit armé. Elles peuvent donc beaucoup apporter au processus de développement territorial pendant le « post-conflit », notamment à partir de l’approche genre.

Les nouvelles institutions et espaces de participation politique créés dans le cadre du « post-conflit » (circonscriptions spéciales pour la paix, programmes de développement territorial, Commission de suivi et de vérification des accords de paix) constituent un scénario a priori favorable à la promotion de ces initiatives et alternatives. Il est donc fondamental de garantir la participation des femmes dans ces espaces de participation.

Un des principaux défis concerne précisément le renforcement des capacités d’incidence politique des organisations de femmes, afin qu’elles deviennent de véritables protagonistes dans la construction de la paix territoriale et de la mise en œuvre des accords de paix dans leurs territoires. Il est important qu’elles puissent se positionner et rendre visibles leurs propositions, qui permettront de garantir le respect et la réalisation des droits des femmes et de leurs communautés. Pour ce faire, il est également essentiel qu’elles renforcent leurs alliances et articulations : ensemble, les organisations seront plus fortes, mieux entendues et pourront concrétiser plus facilement leurs propositions.

Est-ce que la coopération internationale a un rôle à jouer dans le contexte du « post-conflit » ?

Dans le contexte complexe du « post-conflit » et de construction de la paix en Colombie, la coopération internationale a un rôle important à jouer. Elle doit donner une priorité aux propositions de développement intégral, qui prennent en compte les propositions des associations de base et le renforcement des capacités des communautés. Elle doit aussi s’engager pour promouvoir des stratégies permettant l’inclusion des femmes et l’égalité des genres. En tant que partenaires stratégiques, des ONG comme GeTM peuvent renforcer la durabilité et la visibilité des propositions et processus mis en œuvre par et pour les femmes sur les territoires.

La coopération internationale joue également un rôle clé en tant que garant de la mise en œuvre des accords, ainsi qu’en tant qu’allié dans la défense et la promotion des droits humains.

Propos recueillis par Maria A. Muñoz
Chargée de projets