Colombie : Les défis d’Endacol dans le contexte du « post-conflit »

11.2016 – Entretien avec Andreiev Pinzón Franco, Coordinateur de projets chez ENDACOL (partenaire de GeTM depuis 25 ans en Colombie)

Comment ENDACOL perçoit-elle les actuels dialogues de paix entre le gouvernement colombien et la guérilla des FARC?

Endacol salue les négociations de paix entre le gouvernement colombien et les FARC et la possible construction de la paix qui en découlera. Ces négociations et l’accord de paix obtenu sont historiques et ils méritent le soutien de tous les Colombiens et de la communauté internationale. La signature et l’approbation des accords de paix permettront de mettre fin à la guerre. Endacol a donc bon espoir que la fin du conflit armé permettra aux organisations sociales et à la participation politique de fleurir. Toutefois, il ne faut pas oublier que la guerre, au-delà des luttes de pouvoir politique, c’est aussi un business. C’est pourquoi certains partis politiques s’opposent aux actuelles négociations de paix : elles menacent leurs intérêts économiques et militaires. Il existe aussi le risque que la paix soit entravée par l’action de groupes paramilitaires, toujours très présents sur le territoire. Par ailleurs, les négociations de paix n’abordent pas les causes structurelles du conflit, qui sont aujourd’hui toujours présentes: les problèmes de distribution de la terre, la mauvaise redistribution des richesses, la limitation de la participation politique des minorités et des partis d’opposition, persécutés militairement et juridiquement. Tous ces facteurs structurels ne seront pas dépassés ou résolus avec la signature des accords de paix. Dans le même sens, il y a une lacune de participation de la société civile dans les négociations de paix. Bien sûr, la paix doit être négociée entre les acteurs armés en confrontation, mais le modèle démocratique contenu dans les accords concerne tous les Colombiens. Dans le cadre de notre travail, nous sommes spécialement inquiets face aux possibles impacts du « post-accord ». Nous voulons des garanties de participation pour la société civile, afin qu’elle puisse avoir une incidence sur les modèles démocratiques, afin que la paix soit véritablement durable.

Pourquoi parles-tu de « post-accord » et non de « post-conflit » ?

Parce que le post-conflit implique le dépassement de tous les conflits – sociaux, environnementaux, etc. Or, les conflits environnementaux et sociaux seront toujours là lorsque les accords de paix seront signés. Cette période de transition implique notamment d’immenses risques pour les biens communs (eau, air, sols) de la Colombie. Tant que le modèle d’extraction des ressources se poursuivra, tant que l’État et ses régulations se montreront plus favorables aux entreprises qu’aux communautés, et tant que la préservation de l’eau, de la terre et de l’économie paysanne ne seront pas une priorité, les conflits dans les régions risquent de s’accentuer pendant la période du « post-conflit ». Les épicentres du conflit entre les paramilitaires et les guérillas sont situés dans des zones stratégiques du pays du point de vue environnemental : il s’agit de grands centres de production d’eau, ou qui possèdent de riches ressources minérales, ou des terres très fertiles, etc. La fin du conflit armé n’implique pas qu’il y aura des garanties ou une protection constitutionnelle des minorités dans des territoires où les multinationales agro-industrielles, d’élevage, d’extraction minière, vont arriver en force pour extraire ces ressources. C’est pourquoi je préfère le terme de post-accord.

Alors la paix actuelle est incomplète ?

Une véritable paix devrait garantir la non-répétition des violences structurelles, des violations des droits économiques, sociaux et culturels. Elle doit permettre la réalisation des autonomies régionales qui étaient jusqu’ici impossibles en raison du conflit. Je me réfère ici, par exemple, au droit d’une petite communauté à la participation démocratique, qui lui permettrait d’approuver ou de refuser les interventions sur son territoire. Si dans la montagne près d’un village, on veut exploiter des mines, c’est la population du village qui devrait être consultée afin d’approuver ou refuser les permis d’exploitation des ressources environnementales. La paix doit arriver dans ces régions rurales et c’est surtout là que la participation locale doit être renforcée. Les autonomies territoriales doivent être prises en compte pour construire des espaces démocratiques et créer les conditions permettant le respect et la réalisation des droits.

La coopération a-t-elle encore un rôle à jouer en Colombie? Si oui, lequel? Qu’attend la société civile de la coopération dans ce contexte?

La coopération a toujours un rôle à jouer, et pas seulement en Colombie. Les débats actuels sont différents de ceux d’il y a 20 ou 30 ans : avant, le débat portait sur les revenus d’un pays, mais aujourd’hui il porte sur la redistribution de ces revenus à l’intérieur du pays. Ce n’est pas parce que les États atteignent un meilleur niveau de revenus qu’ils garantissent nécessairement la démocratisation de l’économie et une meilleure redistribution des ressources. Les défis actuels ne concernent donc pas la pauvreté monétaire, mais les conditions de vie réelles des personnes. La croissance économique ne sert à rien si elle est accaparée par une élite qui n’investit pas dans le pays et qui ne paie pas d’impôts, comme c’est le cas en Colombie. Dans ce cadre, le rôle fondamental de la coopération est de soutenir et de renforcer la société civile, afin qu’elle soit capable d’avoir une incidence sur la démocratisation, la redistribution, et la réalisation des droits dans le Sud. Ainsi, même si pour les habitants du monde développé, il pourrait sembler que leur solidarité n’est plus requise, elle est cependant plus que jamais nécessaire pour appuyer le travail environnemental, la défense des droits et des secteurs populaires en Colombie. Un autre grand défi en Colombie concerne la ségrégation des populations vulnérables et marginalisées dans les grandes villes. À Bogotá, il existe un gouffre entre ceux qui habitent une ville plus ou moins moderne et ceux qui vivent dans des conditions de précarité absolue. Cette situation, qui découle de la mauvaise redistribution des ressources, s’aggrave au fil du temps et devient une véritable bombe à retardement. L’État colombien et les pouvoirs publics locaux ne prennent pas encore en compte cette problématique et ne prennent donc pas les mesures nécessaires pour y remédier. Là aussi, nous comptons sur le soutien international pour prendre des mesures pouvant limiter l’avancée de cette ségrégation. Enfin, l’appui de la coopération est indispensable pour proposer des alternatives à l’actuel modèle de développement en Colombie, basé sur l’extraction des ressources naturelles. C’est seulement grâce au soutien et à la solidarité du Nord que les organisations locales peuvent exiger des mesures de la part des États pour mitiger les effets du changement climatique et défendre la justice environnementale.

Quel rôle pourra jouer ENDACOL à l’avenir, en lien avec ces enjeux, au niveau local?

ENDA va continuer à œuvrer pour positionner la gestion communautaire comme une alternative viable dans la gestion des biens publics (eau, air, sols) et en faveur de la démocratisation de l’État. Celle-ci remplit toutes les conditions de la gestion publique étatique, mais elle est beaucoup plus efficace, rapide et réactive lorsqu’il s’agit de répondre aux problèmes qui affectent les communautés. De plus, les communautés engagées dans ce type de gestion s’impliquent activement dans la protection de l’environnement. Il permet ainsi d’éviter la médiation de la bureaucratie étatique, tout en remplissant le même rôle. L’État devrait donc valoriser, encourager et protéger la gestion communautaire, que ce soit dans le domaine de l’éducation, de l’eau, des forêts, des déchets, etc. Dans ce sens, le rôle d’ENDA reste le même. La paix doit être durable et doit s’appuyer sur la justice sociale, sur la jouissance des droits humains et sur la démocratisation des espaces locaux. Ce n’est pas en vain qu’ENDA travaille depuis plus de 20 sur la gestion environnementale urbaine avec des associations de base. Ce travail pourra contribuer à garantir une paix durable, et c’est le défi d’ENDACOL pendant cette période de transition.

Propos recueillis par Maria A. Muñoz
Chargée de Projets GeTM