Togo : Construire la démocratie locale et le développement économique

05.2017 – Entretien avec Komi ABITOR, Directeur Général d’ETD, Entreprise Territoire Développement, partenaire de GeTM au Togo depuis 2009. Il nous parle du processus de décentralisation et des apports du projet de gouvernance locale et de développement économique.

Où en est le processus de décentralisation au Togo ?

Il n’a malheureusement pas beaucoup évolué. En 2007, une loi et un décret d’application de la décentralisation ont été votés. Mais la mise en œuvre effective de la décentralisation dépend de la tenue d’élections locales qui sont sans cesse reportées. En 2015, le gouvernement a mis en place une commission technique qui a élaboré une feuille de route pour organiser et préparer ces élections. Elles devraient avoir lieu dans le courant de l’année 2017.

Pourquoi la tenue d’élections locales est-elle si importante ?

En l’absence d’élections locales, il y a aujourd’hui à la tête des communes urbaines et des préfectures des personnes nommées par le pouvoir central (appelées présidents de délégation spéciale). Elles ne sont pas élues, mais décident de la destinée de ces territoires. C’est pourquoi il faut que des élections locales soient organisées afin que les collectivités locales aient à leur tête des personnes élues, bénéficiant de la légitimité pour décider sur la destinée des territoires et capables d’œuvrer au développement du Togo. En l’absence d’élections et de véritable dialogue entre la population et les dirigeants au niveau local, la démocratie ne peut pas exister.

Et le processus de décentralisation permettra d’améliorer cette situation ?

Oui, car la décentralisation favorisera la pratique de la démocratie locale et l’émergence d’une culture citoyenne. La répartition et l’exercice du pouvoir seront plus équitables. Les citoyens pourront exercer un meilleur contrôle sur les actions publiques et ils bénéficieront en même temps d’un meilleur accès aux services et infrastructures de base. Ceci implique de nouvelles responsabilités, parmi lesquelles celle de payer ses impôts. Les collectivités locales, quant à elles, devront consulter les populations avant de prendre des décisions. Elles devront aussi rendre des comptes. Mais grâce à la fiscalité, elles pourront disposer de ressources suffisantes pour planifier l’aménagement et le développement du territoire.

Dans un pays où les principaux enjeux sont la réduction de la pauvreté et le développement, seule la démocratie locale — c’est-à-dire l’accès à l’information, le dialogue et la répartition des pouvoirs — permettra la mise en place d’un véritable développement.

Comment ETD contribue-t-elle à la mise en place de cette démocratie locale ?

Un des axes du projet soutenu par GeTM cherche à préparer la mise en œuvre du processus de décentralisation. ETD accompagne les acteurs locaux (habitants et autorités) à s’impliquer dans une démarche de démocratie participative, en expérimentant des mécanismes de concertation et de dialogue. L’objectif de ce dialogue est d’élaborer des documents de planification qui précisent, à partir de diagnostics participatifs, les priorités en matière de développement des territoires.

À travers des ateliers de formation, nous sensibilisons la population, les chefferies traditionnelles et les pouvoirs publics locaux aux notions de décentralisation, de gouvernance et de citoyenneté. Chacun est ainsi mieux informé à propos des enjeux de ce processus. Tous connaissent et comprennent mieux ce que sera leur rôle au sein de la démocratie locale lorsque celle-ci sera effective.

ETD renforce également les compétences de maître d’ouvrage des collectivités. Les rares infrastructures réalisées aujourd’hui au Togo sont décidées par l’État central. Les collectivités doivent devenir des acteurs clés dans l’identification et la construction d’infrastructures de base. Nous avons déjà accompagné plusieurs expériences de construction de puits et de fontaines, dont les modalités de gestion garantissent la qualité et la pérennité des services fournis aux populations.

Enfin, à travers cet accompagnement, nous cherchons également à améliorer le financement local des collectivités. L’organisation de la levée des taxes, la planification des ressources, l’élaboration des budgets, la gestion des financements, et la reddition des comptes sont quelques-uns des domaines dans lesquels nous renforçons également les compétences des pouvoirs publics locaux.

À quoi voit-on les apports du projet ?

Un dialogue franc et constructif entre la population et les dirigeants a été mis en place, ce qui renforce la confiance mutuelle. Les cadres de concertation mis en place sont fonctionnels et permettent aux personnes de se retrouver, de dialoguer, de discuter de leurs problèmes et de s’engager dans la recherche de solutions concertées. La population se sent donc responsable et impliquée dans son propre développement. La population comprend mieux le fonctionnement des collectivités publiques et leur rôle dans le développement du territoire (gestion des biens et des services publics). Elle est désormais consciente que les collectivités ne peuvent pas prendre des initiatives sans l’associer à leur prise de décision. Ceci renforce la légitimité des autorités locales, même si elles n’ont pas été élues.

Le projet a d’ailleurs permis de faire évoluer les recettes des collectivités locales du simple au triple, ce qui leur permet de réaliser des investissements de plus grande envergure. À ce jour, 16 infrastructures de base pour faciliter l’accès à l’eau ont été construites. Elles profitent à plus de 30 000 habitants, soit 10 % de la population.

Enfin, le projet a permis un éveil des consciences concernant les pratiques à adopter pour limiter la dégradation de l’environnement parmi les habitants, mais aussi au niveau des collectivités publiques. Celles-ci se dotent progressivement de stratégies préfectorales de développement durable.

Nous n’avons pas attendu la tenue d’élections locales pour commencer à préparer la mise en place de la décentralisation au niveau local et cette approche novatrice porte peu à peu ses fruits. Les populations que nous accompagnons auront donc une longueur d’avance sur les autres au moment où la décentralisation sera mise en place. Les territoires où notre projet est développé sont en avance par rapport à tous les autres territoires du Togo. Ces expériences sont citées en exemple dans tout le pays.

Étant donné son succès, avez-vous prévu de partager cette expérience au niveau national ?

Tout à fait. Le projet prévoit des activités de capitalisation, portant sur la démarche et les outils de planification du développement au sein des collectivités locales, sur la gestion des finances locales, sur la maîtrise d’ouvrage et sur la citoyenneté. Des documents seront produits et diffusés pour partager cette expérience. Elle pourra ainsi être répliquée dans d’autres régions du Togo. Un premier atelier national pour présenter les acquis du projet a été organisé en 2016. Il a été très bien accueilli. Nous prévoyons donc d’organiser un 2ème atelier à la fin de l’année 2017. Propos recueillis par Florian Tissot (Chargé de Communication)
Rédaction par Maria A. Muñoz (Chargée de Projet)